Une France rayonnante, par Denis Sieffert

Une analyse intéressante du coté idéologique de l’atome  » à la française » par Denis Sieffert( Politis  du 17 mars 2011 )

« (…) La France occupe aussi dans l’histoire du nucléaire une place particulière. Nulle part autant que chez nous les sources d’énergie n’ont à ce point été concentrées. L’atome produit aujourd’hui 80 % de notre électricité contre 35 % au Japon. Ce qui rend le débat passionnel, pour ainsi dire impossible.En France, le nucléaire ne s’est pas imposé comme une nécessité, mais comme une idéologie. Et, disons-le, comme un soubresaut de notre empire. Le nucléaire est devenu d’emblée, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, comme un motif de fierté en compensation de notre empire en voie de démantèlement. Comme l’avait fort bien démontré l’historienne américiane Gabrielle Hecht (1) dans un ouvrage remarquable, le nucléaire est rapidement devenu, dans l’esprit des dirirgeants français de l’après-guerre, de Gaulle le premier, »un empire déterritorialisé » en remplacement du fameux empire  » de Dunkerque à Tamanrasset », cher au Général. Un empire technlogique qui assurerait « le rayonnement » de la France partout dans le monde.
Le nucléaire a été pensé par nos politiques comme un nouvel instrument de domination coloniale. Quelque chose qui mêlerait au plus niveau d’ambition des objectifs scientifiques, économiques et stratégiques; le projet nucléaire s’est immédiatement confondu avec l’identité de la France. On sait combien ces sujets sont délicats. Le corollaire de cet acte de naissance est on ne peut plus lourd, c’est l’absence totale de démocratie au moment des principales prises de décisions qui, pourtant, allaient engager notre société pour des décennies.(…) Il a fallu l’émergence de l’écologie politique, et le début d’une critique radicale des notions de progrès et de productivisme pour que le nucléaire devienne au moins objet de débat. Un débat balbutié dans la société civile, mais toujours interdit dans la classe politique. Malgré les risques que l’accident de Fukushima met en évidence, malgré les multiples inconnues qui entourent la question du traitement des déchets radiocatifs, l’heure est au toujours plus.
Toujours plus puissant et concentrant toujours plus de risques, comme cet EPR , la centrale de » troisième génération », déjà en construction à Flamanville, et en vente partout dans le monde où passe le VRP Sarkozy. Sans parler d’ITER, prévu pour 2020, en dépit de l’accumulation de déchets et de maniement à haut risque du tritium. Comme si l’industrie la plus dangereuse que l’homme ait jamais conçue était une fois pour toutes exemptée du principe de précaution.
(…)
A l’heure où l’angoisse grandit à Tokyo, nous en sommes à nous interroger sur la maturité de notre démocratie qui a besoin d’une catastrophe pour ouvrir un débat qui engage  à tous points de vue, scientifique, politique, économique, culturel, l’avenir de la société française et de ces pays lointains et incertains auxquels nous vendons notre marchandise.  »

(1) le rayonnement de la France, La Découverte, 2004.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *