Archives de catégorie : l’ecriveur polygraphe

sur le blog « écrivains et voyageurs »

1° novembre 2011 :

J’ai lu « La Voie cyclique » de Gérard Bastide

« Polyfaiseur de multichoses », comme il se définit lui-même sur son site, Gérard Bastide est entre autre un « écriveur polygraphe » et un « cycliste oblique ». Sans compter un goût certain pour le sud… Tout ça ne peut donner qu’une œuvre peu catholique (pardon…) et originale. A priori tout ça me plait bien. Lisons La Voie cyclique, dont le titre est déjà une occasion de constater l’humour et le jeu avec les mots que l’on retrouvera tout au long du recueil.

« J’ai tant de choses à voyager »

Le propos de l’auteur est de nous emmener, à vélo, sur les sommets méditerranés. J’aime bien la montagne. Je n’aime pas le vélo. Et les récits des cyclotouristes me laissent souvent sur ma faim : je n’adhère que rarement aux histoires de dérailleurs qui déraillent et de mollets qui fléchissent. Mais dès les premiers mots – la citation en exergue du premier récit, ce « Pour survivre, il faut raconter des histoires » de Eco – et les premières lignes de « Précyclule », je me sens un peu rassuré. Il s’agit de « circonscrire une quête », de « chercher une identité commune » à une « entreprise déraisonnable (qui) n’exclut pas un certain pragmatisme. » On dirait que ça ne va pas être triste, tout en restant à une certaine hauteur… Mais d’abord: faut-il y aller à vélo ? Où, dit plus crûment : est-ce utile de remplacer une sieste par quatre heures de pédalage en plein soleil ? Oui et non. D’abord parce que « toutes les forces physiques qui mettent ce monde en branle semblent s’être liguées contre l’homme debout. » Mais quand on cherche une « voie », et que le taôisme propose des étapes « assez longues et sans ravitaillement », la « voie cyclique » est peut-être ce qui convient le mieux à ce sportif du sud, à ce « cycliste tendance romantique musclé. » Et puis il y a, comme après tout effort physique ; à pied ou à vélo, une sorte de récompense. « Le Bon Faiseur qui récompense les cyclistes méritants a généralement placé au haut des cols d’agréables descentes qui font de l’air, sèchent la sueur et permettent d’oublier les tourments de la veille. »

« Cette montagne me va à gravir »

Dans ces récits on trouvera donc plein d’histoires, et aussi des références à quelques voyageurs ou nomades, comme Thoreau, Kenneth White ou Sylvain Tesson, ce qui n’a rien d’étonnant pour ces voyageurs qui préfèrent « l’ailleurs » au sens physique, mais aussi au sens intellectuel, un « Tibet mental ».
Suivons Bastide. Partons aux Pyrénées, à l’Etna, aux Baléares, au Canigou, au Ventoux, à l’Olympe… à la recherche de ces « cultures de l’altitude, tout ce que la longue mémoire des hommes et leurs croyances ont pu forger à partir de ces sommets. »

On relèvera, entre autres choses, un bref éloge de l’âne : « Qu’aurait été la méditerranée sans l’âne ? Une Laponie sans rennes, une Australie sans kangourous » ; de nombreux jeux de mots, aphorismes, néologismes, traits d’humour – il y a du Allais et du Vialatte dans l’air… – qui donnent un tour joliment décalé aux récits ; des citations comme ce proverbe d’Asie centrale : « Garde-toi de demander le chemin à qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer » ; et quelques pensées définitives et pacifistes qui relativisent notre présence sur terre et nos éternels questionnements : « Les armées ont avancé à cheval, les religions à dos d’âne. Les unes et les autres laissant derrière elles le même sillage de mouches et de crottin, de pisse et de sang. »
Ce que je pensais en ouvrant ce livre s’est avéré : ces récits – ce « concerto pour route et cyclo – sortent de l’ordinaire des journaux de voyages cyclotouristiques. La machine est bien là, elle est même le pivot des récits, mais elle est « l’outil commode pour arriver à mes fins personnelles », elle sert surtout à avancer sur la route, de préférence hors des sentiers battus, et est plus souvent prétexte à des bavardages philosophiques – mais une « philosophie du vélo (…) au même titre qu’il y a une philosophie de la clé de 12 ou une éthique du grille-pain » – qu’à des considérations techniques ou topographiques. Pari gagné, si c’était le propos de l’auteur. Très bon petit livre, qui peut être lu et relu – c’est important quand on n’emporte qu’un livre dans le sac à dos, ou la sacoche.
Les premières lignes : « Il s’avance debout au fond des couloirs du temps. L’homme. Avec quelques autres formes dont il partage l’espace, les termitières, les girafes, les autruches et les pingouins, les ours en colère, la pluie, le filet de fumée, il apprend à se tenir droit. Dressé. Bipède. C’est l’arbre qui lui explique tout ça. Et la montagne. »

Gérard Bastide – La Voie cyclique
Sommets méditerranéens à vélo
Editions Le Pas d’oiseau 2011.

http://gerardbastide.fr/sommaire.php

le marché à Lacalm

( 3° prix du concours de nouvelles 2000 de la revue Harfang )

Tannés par tous les vents et mâchurés de mousses, les murs de pierre dorment encore. Ils dormiront tant que le jour ne sera pas assez haut, tant que le soleil ne sera pas assez monté dans les aires du ciel pour hisser ses draps à l’aplomb des ruelles et faire craquer d’aise les lambourdes des planchers et les charpentes en chataignier. Il y a un moment encore, la nuit était comme un midi noir sur les hommes, sur le village, sur les bêtes, sur tout. Maintenant, dans cette profondeur qui précède l’aube, dans cette noirceur si pleine qu’un cheval y disparaitrait tout entier, il n’y a plus que des silences de loin en loin pour trotter à leur envie entre les maisons où dorment les gens.
Parmi toutes ces épaisseurs de noirs superposées dans la chambre et sur les yeux comme des couvertures, ils se sont levés et habillés. Sans le réveil. Sans causer. A l’accoutumée. Il n’y a rien à en dire. Les gestes vont tout seuls là où ils doivent aller par la force de l’habitude. Pas besoin de frotter une allumette. Il n’y a qu’à ouvrir le portillon de la cuisinière pour redonner aux braises un peu d’air à lécher. Quand le rouge revient, on leur livre en pâture deux buchettes de hêtre sec qui feront bien assez pour ce qu’il y a à faire.
Ce qu’il y a à faire? C’est le train du matin, l’eau au broc, la mécanique apprivoisée du moulin à café, la cafetière qui siffle. C’est l’heure tranquille où les objets, confiants ou mal réveillés, se laissent faire entre les mains des hommes. C’est tout aussi bien d’en profiter, parce qu’ensuite, dans la journée, il arrive bien qu’ils se rebellent, tant tu veux faire d’un côté et tant ils veulent faire de l’autre. Mais jamais de si bon matin.
L’odeur du café chaud se répand comme un miel entre les espaces laissés en suspens par les choses, les affaires et les mouvements des deux hommes. Le temps de déjeuner, un coq a déjà accroché son cri aux premières lueurs comme on le ferait d’une veste aux deux ou trois clous rouillés plantés dans la porte et  les murs se le disent en écho.
Ensuite, c’est la tournure habituelle de tous ceux qui ont à faire, qui vont au marché comme d’autres au chantier du bois ou à la chasse: après le café, remplir son sac de ventre de deux oeufs, d’une tranche de lard, de pain chauffé sur la plaque; une goulée de vin rouge qui va à l’estomac aussi bien que le hêtre au feu; remplir son sac d’épaule de la gourde, de la cape. Le portefeuille à la poche, le papier à rouler, la blague à tabac. Le couteau. Les papiers. Lacer les souliers, attraper la casquette, prendre le baton, toutes les choses ont l’air de se
faire toutes seules, sans que l’on y pense. Et tant vaut-il que ça se passe comme ça, sinon on les ferait pas. Dans sa tête on dirait: ” Oh, et puis après merde”
visualiser le pdf:

la Voie cyclique, quelques bonnes feuilles

 » LA VOIE CYCLIQUE  » aux éditions « le Pas d’oiseau »-2011-
quelques bonnes feuilles :

« …un pèlerinage sans sanctuaire.
un compostelle minéral.
Pentecôtes de silex. Exorcismes de caillou.
(…) Il me fallait monter, me hisser, mesurer ces étendues de terre avec l’empan de mon corps d’homme, arpenter de gestes kilométriques ces étendues d’histoires. Voir si les hommes d’aujourd’hui ressemblent à leurs mythes.  »

« …J’avais lu quelque part que dans le taoïsme sont  trois voies pour atteindre l’illumination : la voie initiatique, la voie héroïque, la voie mystique. C’est en effet assez prudent de prévoir plusieurs chemins pour arriver au même endroit.  D’autant que pour atteindre l’illumination la dernière étape est assez longue, je crois, et sans ravitaillement. Toutefois, je ne me voyais pas avancer sur ces trois voies en même temps comme un convoi exceptionnel. Alors j’inventai la Voie cyclique. Par roulement évidemment. Elle synthétiserait les trois autres (sans apporter aucune réponse supplémentaire). Il y aurait quelque chose d’un romantisme musculaire, cette manière d’éprouver physiquement et spirituellement tous ces lieux sacrés pour en tirer une leçon d’énergie. »

« …Métaphorique bicyclette  qui  permet de passer  à travers les horizons. Comme le couteau entre l’arbre et l’écorce, la flèche entre l’archer et la cible. Petit Véhicule. Vélo comme interface entre moi et le monde, entre la montagne vieille et l’embouteillage contemporain. Entre la carte et le territoire. »

 » Autre compagnon idéal, mon journal de bord. Pline le Jeune dans une lettre à Tacite ne dit pas autre chose:
“ Je ruminais des pensées et je prenais des notes. Je me disais : je reviendrai peut être les mains vides mais je rentrerai la tête pleine. il ne faut pas mépriser ma façon de travailler.”
Pour moi, c’est un calepin corné sur lequel je note tout ce qui passe, pensée profonde ou brève de comptoir, croquis griffonné, recette de cuisine, vocabulaire, notes de lecture ou plan succinct pour se rendre à tel endroit ou encore numéros de téléphone échangés sur la route…Quel partenaire idéal ! Je lui confie mes pensées, il les garde. Je prends des notes, il les conserve. Je le ressors des années après, il me restitue l’ambiance de l’instant. C’est un monologue que je renoue ou que j’arrête à volonté. Avec la fraicheur et la maladresse de ces carnets de croquis pris sur le vif, traces de doigts, cambouis et gouttes de sueur en prime. Ecriture foraine sans clavier ni cahier. »

 » Chargement, ennemi numéro un du nomade. Savoir élaguer, supprimer, faire des impasses, s’en remettre à l’essentiel et à la providence. Méditer ce conseil suisse anonyme : avant de partir, tu fais lâ liste de tout ce que tu dois emporter. Et tu barres, tu barres, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le minimum indispensable. Alors, tu mets toutes ces affaires sur le sol de la salle de séjour. Et tu n’en prends que la moitié. Il ne faudrait que de l’impondérable, étymologiquement ce qui ne pèse pas. Comment se fait-il que pour nous autres, occidentaux, l’impondérable est devenu ce que l’on ne maitrise pas, la part de hasard ?  »

« …Enfin assis au sommet, l’acteur-spectateur aura passé de la fournaise à la glace, de la nuit à la lumière, des ténèbres à l’évidence, parcouru tout l’orbe des saisons, traversé  des énergies contraires qui viennent s’annuler ici, à l’endroit précis où toute pente s’efface, dans le creuset étroit où s’opère la fusion primordiale de la terre et de l’air, du feu et de la glace. Le vent violent chasse par rafales les gaz et les miasmes et les tentations suicidaires. On ne peut pas mourir partout. Ici se résout pour quelques instants la grande contradiction du monde. Maintenant il faut vivre pour redescendre. »

visualiser le pdf

L’EN-ALLEE DE JERUSALEM

(1° prix du concours de nouvelles de l’Encrier renversé-1998 )

A quel moment une idée se met à germer dans la tête des gens, comment elle s’y installe, on ne peut pas savoir. Pendant combien de temps sont-ils capables de porter en eux cette menue plante de l’idée qu’ils entretiennent régulièrement et à qui ils portent à boire comme à une petite personne? Si bien qu’au bout du compte l’idée a tellement grandi qu’elle dépasse parfois de beaucoup la taille de celui qui la portait. Alors elle devient indépendante et fraie son chemin toute seule parmi le monde et les autres idées.
Ainsi, nul n’aurait pu dire quand cette folie – il faut bien appeler les choses par leur nom – lui était venue en tête. Elle avait des imaginations faciles, elle était prompte à la rêverie comme souvent chez les jeunes personnes d’une complexion fragile et combien de fois la Mère Supérieure l’avait surprise à rêvasser au milieu de l’après- midi, les yeux fixés sur un objet imaginaire posé sur les tomettes de terre cuite, alors qu’il y a tant à faire ici, ne serait-ce que d’ aller arracher les herbes folles des bords des allées. Un peu herbe folle elle- même sans doute.
Cette nature rêveuse et prompte aux errances, cette âme qui semblait vaguer au premier vent, elle devait l’avoir héritée de sa famille, du moins le pensait-on, car sa venue au couvent avait été entourée d’un certain mystère. Et les anciennes, comme toujours, s’étaient complu à l’épaissir encore davantage par les fioritures de leurs récits. Leurs inventions naïves tachaient de combler les lacunes de l’histoire de la nouvelle venue. Mais par sa grâce innée, sa douceur, la carnation de sa jeune chair qui rosissait aussitôt que l’on s’adressait à elle, par sa gentillesse et son dévouement elle avait assez rapidement conquis, dès le temps de son noviciat, les coeurs de toute la communauté. Ses regards parfois perdus et son air vite troublé tranchaient aisément avec les moeurs rustiques et la piété chevillée au bon sens de ces robustes paysannes et ne faisaient qu’ajouter au charme de sa personne en lui conférant cette épaisseur supplémentaire de lumière que d’ autres appellent l’aura.

lire la suite