par Dominique Plihon (membre du conseil scientifique d’Attac )
LEHMAN BROTHERS, FUKUSHIMA : deux noms qui résonnent d’une manière sinistre, deux catastrophes majeures. La faillite de la banque américiane Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, est un moment paroxystique où le système financier mondial a failli s’effondrer sous les coups de la folie spéculative des banquiers. Quant à la catatrophe nucléaire de Fukushima à la suite du tsunami du 11 mars 2011, c’est le résultat d’une autre forme de folie, prométhéenne celle-là, de l’homme qui ignore ses limites et croit maitriser la nature.
Bien que différentes, ces deux catastrophes ont des caractéristiques communes. Ce sont des événements exceptionnels par leur ampleur mais dont la probabilité est considérée comme faible.Il faut remonter à 1929 pour trouver une crise financière aussi grave que celle qui secoue l’économie mondiale depuis 2007.Quant au tsunami, il est associé à un séisme de force 9, le plus important enregistré dans l’histoire du Japon, pays pourtant sujet aux tremblements de terre.
Les scientifiques et les acteurs économiques tendent systématiquement à sous-estimer, voire à ignorer, les risques majeurs et leurs conséquences sous prétexte qu’ils sont rares et difficiles à prévoir.Or des travaux récents ont montré que l’histoire de l’humanité est bien davantage façonnée par des phénomènes rares et exceptionnels- les « cygnes noirs »*- que par des processus réguliers et prévisibles. Ainsi, des innovations importantes comme l’énergie atomique et la titrisation des créances, sont au coeur de ruptures brutales dont leurs instigateurs n’avaient pas prévu les conséquences. Ce qui signifie que nous devons changer de « logiciel » et faire preuve de modestie face aux limites de nos connaissances. Une bifurcation dans notre manière de penser le monde s’impose.
L’aveuglement des décideurs face aux catastrophes financières et nucléaires récentes obéit à une rationalité, qui est celle du marché et de la rentabilité. Les grandes banques, comme les opérateurs privés qui gèrent les centrales nucléaires, tel que TepCo au japon en charge de Fukushima, ne prennent en compte que les coûts privés des accidents dont ils sont responsables; les autres conséquences de leurs décisions sur la société et l’environnement restent « externes » à leurs calculs: les économistes parlent d’externalités. Le coût total des catastrophes (économique, social, environnemental ) est donc largement sous-estimé par les acteurs privés qui savent très bien que c’est la société- et donc l’Etat-qui prendra en charge des effets « externes ». Ce qui conduit à l’illusion, entretenue par l’idéologie néolibérale, d’une énergie nucléaire à bon marché, ou d’une finance globale conduisant à une répartition plus efficace des capitaux sur la planète.
Il faut tirer toutes les conséquences des catastrophes associées à Lehman Brothers et à Fukushima. L’une des conclusions évidentes est que les domaines d’activités-tels que la banque et le nucléaire-qui sont sujets aux risques majeurs et systémiques ne peuvnet être gouvernés par des acteurs privés soumis à la logique du rendement financier. Le secteur de la banque comme celui du nucléaire doit passer sous contrôle social. C’est le seul moyen de donner à la société les moyens de prendre démocratiquement les décisions d’intérêt général qui s’imposent aujourd’hui, telles que le désarmement de la finance spéculative et la sortie du nucléaire(…)
* « le cygne noir »: la puissance de l’imprévisible, Nassim Nicholas Taleb, les Belles Lettres, 2010