En prélude à la sortie prochaine de » la Voie cyclique » aux éditions « le Pas d’oiseau », quelques bonnes feuilles :
« un pèlerinage sans sanctuaire.
un compostelle minéral.
Pentecôtes de silex.
Exorcismes de caillou. «
Il me fallait monter, me hisser, mesurer ces étendues de terre avec l’empan de mon corps d’homme, arpenter de gestes kilométriques ces étendues d’histoires. Voir si les hommes d’aujourd’hui ressemblent à leurs mythes.
J’avais lu quelque part que dans le taoïsme sont trois voies pour atteindre l’illumination : la voie initiatique, la voie héroïque, la voie mystique. C’est en effet assez prudent de prévoir plusieurs chemins pour arriver au même endroit. D’autant que pour atteindre l’illumination la dernière étape est assez longue, je crois, et sans ravitaillement. Toutefois, je ne me voyais pas avancer sur ces trois voies en même temps comme un convoi exceptionnel. Alors j’inventai la Voie cyclique. Par roulement évidemment. Elle synthétiserait les trois autres (sans apporter aucune réponse supplémentaire). Il y aurait quelque chose d’un romantisme musculaire, cette manière d’éprouver physiquement et spirituellement tous ces lieux sacrés pour en tirer une leçon d’énergie.
» Métaphorique bicyclette qui permet de passer à travers les horizons. Comme le couteau entre l’arbre et l’écorce, la flèche entre l’archer et la cible. Petit Véhicule. Vélo comme interface entre moi et le monde, entre la montagne vieille et l’embouteillage contemporain. Entre la carte et le territoire. »
Autre compagnon idéal, mon journal de bord. Pline le Jeune dans une lettre à Tacite ne dit pas autre chose:
“ Je ruminais des pensées et je prenais des notes. Je me disais : je reviendrai peut être les mains vides mais je rentrerai la tête pleine. il ne faut pas mépriser ma façon de travailler.”
Pour moi, c’est un calepin corné sur lequel je note tout ce qui passe, pensée profonde ou brève de comptoir, croquis griffonné, recette de cuisine, vocabulaire, notes de lecture ou plan succinct pour se rendre à tel endroit ou encore numéros de téléphone échangés sur la route…Quel partenaire idéal ! Je lui confie mes pensées, il les garde. Je prends des notes, il les conserve. Je le ressors des années après, il me restitue l’ambiance de l’instant. C’est un monologue que je renoue ou que j’arrête à volonté. Avec la fraicheur et la maladresse de ces carnets de croquis pris sur le vif, traces de doigts, cambouis et gouttes de sueur en prime. Ecriture foraine sans clavier ni cahier.
» Chargement, ennemi numéro un du nomade. Savoir élaguer, supprimer, faire des impasses, s’en remettre à l’essentiel et à la providence. Méditer ce conseil suisse anonyme : âvânt de pârtir, tu fais lâ liste de tout ce que tu dois empôrter. Et tu bârres, tu bârres, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le minimum indispensâble. Alors, tu mets toutes ces âffaires sur le sol de la sâlle de séjour. Et tu n’en prends que la moitié. Il ne faudrait que de l’impondérable, étymologiquement ce qui ne pèse pas. Comment se fait-il que pour nous autres, occidentaux, l’impondérable est devenu ce que l’on ne maitrise pas, la part de hasard ? »
« … Enfin assis au sommet, l’acteur-spectateur aura passé de la fournaise à la glace, de la nuit à la lumière, des ténèbres à l’évidence, parcouru tout l’orbe des saisons, traversé des énergies contraires qui viennent s’annuler ici, à l’endroit précis où toute pente s’efface, dans le creuset étroit où s’opère la fusion primordiale de la terre et de l’air, du feu et de la glace. Le vent violent chasse par rafales les gaz et les miasmes et les tentations suicidaires. On ne peut pas mourir partout. Ici se résout pour quelques instants la grande contradiction du monde. Maintenant il faut vivre pour redescendre. »