Archives de catégorie : l’ecriveur polygraphe

« article-fantôme »

On ne saurait empêcher la marche du progrès. Témoin cet article paru il y a quelques jours dans la Dépêche du Midi, le journal « généralement bien informé « . Celui qui a pondu cet article (ça s’appelle encore un journaliste ? ) n’a pas cru bon de venir me déranger inutilement ou de prendre des risques inconsidérés sur la route. Alors, avec juste la 4° de couverture et des bouts de vieux articles, il a bricolé un papier qui n’a pas  dû lui prendre beaucoup de temps… Il manquait une photo ? Pas de problème, il a récupéré une photo qui date de 2011 ! (de ce côté-là, j’avoue, je reprends un coup de jeune ). Avec le logo d’Orange. Je suppose que la prochaine étape consistera  à virer le journaliste et le remplacer par un logiciel de création d’articles (e-info ) qui fera tout aussi bien et pour moins cher.

 

« Eau en couleurs »

Vient de paraitre aux éditions du Courtiol « Eau en couleurs » , sous-titré  » ballades languedociennes « , un recueil au format à l’italienne d’aquarelles signées par Pascale Soulas et dont l’artiste  a bien voulu me demander de rédiger la préface. Aussi je me suis exécuté :

D’abord l’eau. Sans elle ni océans ni icebergs ni bactéries ni parapluies ni nous. Donc respect. D’autant que la ressource en eau est menacée. Aussi vive l’aquarelle championne du monde des économies d’eau, la frugalité érigée en oeuvre d’art, une esthétique de l’anti-gaspi, la goutte reine. Une aquarelle de dimensions moyennes dépense moins d’eau qu’une crise de larmes standard. La comparaison s’arrête là car les approches sont différentes, notamment en ce qui concerne le choix du sujet et le temps de séchage. D’ailleurs, une aquarelle réussie apporte pas mal de satisfactions apaisantes, aussi bien à l’artiste qui la réalise qu’à celui qui la regarde. L’aquarelle est avant tout une leçon d’humidité. C’est aussi une leçon d’humilité. Comment faire entrer le monde sur sa feuille avec quelques poils disposés en pinceau et quelques milligrammes de poudre de pigments ? L’aquarelle est  à la peinture en bombe ce que la harpe celtique est au heavy metal. L’aquarelle prétendrait donc être un art modeste ? Au contraire, il y a quelque vanité à vouloir dire le monde avec si peu d’eau et quelques onces de pigment. Aquarelle, calligraphie de la couleur.J’y vois un point commun avec l’écriture, autre technique économe en liquide. Les deux relèvent le défi de communiquer  des émotions par le seul miracle de quelques gouttes judicieusement disposées sur une feuille.

Pascale Soulas. Le cristal et la fumée. Technique et abandon. Esprit de géométrie, esprit de finesse, selon la formule de Blaise Pascal. Il opposait ainsi la rigueur des géomètres  à la finesse des poètes. Mais lui-même était une synthèse, lui qui joignait la rigueur la plus aigüe du scientifique à la profondeur métaphysique de ses réflexions sur la foi. Soulas à sa façon réconcilie ces deux aspects puisqu’elle a suivi une formation d’architecte avant de frayer les chemins de la musique. L’art et les règles de l’art. Le carnet de croquis et la planche  à dessin. Garder la fluidité de la mélodie et le sens des volumes, est-ce donc si contradictoire ? Le terme de « physis » , la « nature » chez les grecs, éclaire cette apparente contradiction. Physis désigne aussi bien la nature  » naturante et naturée  » que es lois immuables de nature mathématique qui ont fourni au français le mot « physique ». Cette double filiation éclaire le travail de pascale Soulas : regard futé et affuté sur ce modeste patrimoine vernaculaire que le pressé néglige bien souvent de regarde ; avec une étude rigoureuse de l’ombre et de la lumièrequi jouent sur ce bâti ; mais aussi poésie contemplative des sujets naturalistes pour lesquels elle se garde bien de donner un nm scientifique. Plutôt la pause que la pose. Sous nos yeux s’opère alors la synthèse des contraires dans le creuset de sa création individuelle. Chaque oeuvre est un autoportrait. Et pourquoi ce pays ? « J’y suis arrivée par hasard, j’y suis restée par choix. » On n’en saura guère plus. La meilleure recette ne se partage pas. Qu’il suffise de savoir que dans ces terres sudistes si rares en eau, Pascale Soulas a  su réveiller le griffon, apprivoiser le théron et trouver la source qui éclaire ses aquarelles et ses ritournelles.

en langue des sagnes

« La langue des sagnes », c’est le titre de cet excellent petit livre auto-édité et écrit par Céline Rives-Thomas. Avec beaucoup de générosité et d’humanité, elle décrit la longue aventure de l’association Rhizobiòme depuis les débuts difficiles où les tourbières n’étaient bonnes qu’à être drainées jusqu’à la reconnaissance officielle de leur statut et de leur importance en passant par le douloureux épisode de Sivens. J’ai eu la surprise- car elle ne me l’avait pas dit- d’y retrouver un de mes textes du côté de la page 234. Alors je ne résiste pas à l’envie de vous le citer…
Dans la Guerre du Feu, le film de Jean-Jacques Annaud qui met en scène le livre de Rosny ainé, on voit le clan pourchassé se réfugiant avec son précieux feu sur des ilots au milieu des marais. Le marais comme refuge ? Drôle d’idée ! Fallait être
sacrément arriéré, genre paléolithique bas de plafond, non ? Il est vrai que les tourbières, marais et autres sagnes ont longtemps souffert de mauvaise réputation. D’un déficit d’image pour parler le moderne : angle mort de l’agriculture; relique de l’époque glaciaire; point aveugle du paysage. Vieux fossile quoi. L’inconscient qui ose s’y aventurer y trouve pêle-mêle des plantes carnivores, minuscules ça d’accord, mais sait-on jamais si elles venaient à muter, des lézards ovovivipares- mais ils l’ignorent-, des ancêtres de Bob l’éponge, des bottes dépareillées et des humains momifiés depuis des siècles à la suite de rituels pas très catholiques. Le vocabulaire lui-même en porte les traces : la tourbe désigne ce combustible végétal ( qui a du mal à s’allumer et puis qu’on a du mal à éteindre ) mais aussi la populace, la foule des bas-fonds. Elle cotoie la fange, la lie. Tourbe souffre de son voisinage avec bourbe, bourbier. La sagne, c’est terra incognita, c’est le lieu du désordre de la nature, le sauvage, le saltus gallo-romain par opposition à l’hortus, à l’ager. C’est l’èrm. Avant d’être ERM ( Environemental Resources Management, oh yeah ), l’èrm en occitan c’est le désert d’où dérive le mot ermite. Et le lieu non cultivé, n’est-il pas synonyme d’inculture ? Allez zou, drainez-moi tout ça !
Toutefois, pour les anciennes cultures, marais et sagnes jouaient un rôle bien plus ambivalent. Refuge de génies et créatures amphibies, la sagne, lieu de culte et d’offrandes cultuelles. jouait également un rôle psychopompe. Dans maints contes, celui qui s’aventure à traverser le miroir de l’eau au péril de sa vie, risque de voir son existence transformée à jamais après son passage entre les mondes…
Aujourd’hui la croissance à tout berzingue a montré ses limites. Les bénéfices que l’humanité a pu en retirer sont grevés par une addition astronomique de dégâts environnementaux irréversibles. La croissance est devenue une mécroissance. Une excroissance proliférante. Une tumeur. Aujourd’hui aux Etats-Unis, l’eau potable vaut plus cher que le pétrole. Sur toute la planète les ressources s’épuisent. Après la guerre du feu, les guerres de l’eau. Se souvient-on encore que dans ressource, il y a source ?
Et voici qu’aujourd’hui, par une singulière inversion des valeurs dont l’Histoire est coutumière, voici que les sagnes, cet oeil mort qu’on regardait avec réserve devient… réserve de vie. A l’heure de la gestion responsable et nécessaire de l’eau, les sagnes, par leurs capacités naturelles de rétention et de régulation peuvent devenir le premier maillon d’une hydronomie raisonnée. Une banque d’eau. Quand le culte de la croissance devient le trou noir du futur, le progrès qui stagne, la sagne représente la mémoire archaïque de l’eau et redevient un sanctuaire. Si tu ne sais pas où tu vas, souviens-toi au moins d’où tu viens. Va replonger tes racines dans ce sanctuaire d’eau, cette matrice primordiale. Tu verras, la flotte y est discrète, mais claire et abondante. Je ne sais si la sagne a le pouvoir de nous absoudre de nos erreurs d’aménagement. Mais il faut saluer ici le travail exemplaire de ces pionniers du réseau Sagne qui, à rebrousse-poil, à rebrousse-administrations, à rebrousse-air du temps, réinventent patiemment le beau métier de chercheurs d’eau. Hier filant à contre-courant, aujourd’hui ils coulent de source.
Et n’oubliez pas vos bottes.
Et elle a cru bon d’ajouter : « artiste plasticien, conteur, écrivain, musicien … GB est un sacré personnage. Personne mieux que lui ne vous emmène dans le mystère des sagnes en Pédégueine déguenillé.Il joue des mots, des objets, des couleurs, des notes de musique… Tout est bon pour ouvrir l’imaginaire, avec en prime toujours ce sourire généreux qui emporte la foule. »
Stop !

« pédale douce »

« Pédale douce » est le dernier titre de Frank Michel paru aux éditions Livres du Monde. De lui, j’avais déjà lu « éloge du voyage désorganisé ”, une réflexion approfondie sur le voyage, la littérature de voyage, la Nomadie … et voilà que dans ce nouvel opus d’une centaine de pages, l’auteur prend la peine de citer l’Intrépide :

“ Notre cycliste oblique revient à la charge, toujours pacifiquement et à vélo, dans un livre plus déjanté encore, au titre programmatique : l’Intrépide Centripète à la recherche du Centre (2016). Le récit d’un être en marge en quête de son centre. Et pour rayonner en son sein, rien de tel qu’un bon trip à vélo en mode géopoétique, d’où l’on verrait presque le fantôme de Kenneth White surgir en haut d’une colline ou au détour d’un virage… cramponné à son guidon et à l’affût du bruit du monde, le poète cycliste se met en selle et, à petite vitesse pour mieux cerner les hommes et laisser infuser les idées, il cible l’axis mundi, ce pilier de la terre, il erre à la recherche du nombril du monde, pétri d’un humanisme à toute épreuve, défiant toutes les embûches sur son passage. Il fallait bien tout ce détour par le voyage lent pour se recentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le sens qu’on donne à sa vie. A l’issue de trois années de tribulations cyclistes, géographiques et philosophiques, il réussit à nouveau magistralement- comme dans son livre précdent- à éviter l’écueil des journaux ou carnets de voyage cyclotouristiques, si redondants et ennuyeux, en veillant minutieusement à toujours placer les mots devant les roues et la poésie avant l’effort. La preuve que le vélo ne s’apparie pas qu’avec l’effort et la gloire, mais aussi avec la créativité, l’imaginaire, la jouissance, le bonheur et parfois la littérature. »

N’en jetez plus !
Après ça, il ne me reste plus qu’à entrer aux éditions de la Pléiade…