le marché à Lacalm

( 3° prix du concours de nouvelles 2000 de la revue Harfang )

Tannés par tous les vents et mâchurés de mousses, les murs de pierre dorment encore. Ils dormiront tant que le jour ne sera pas assez haut, tant que le soleil ne sera pas assez monté dans les aires du ciel pour hisser ses draps à l’aplomb des ruelles et faire craquer d’aise les lambourdes des planchers et les charpentes en chataignier. Il y a un moment encore, la nuit était comme un midi noir sur les hommes, sur le village, sur les bêtes, sur tout. Maintenant, dans cette profondeur qui précède l’aube, dans cette noirceur si pleine qu’un cheval y disparaitrait tout entier, il n’y a plus que des silences de loin en loin pour trotter à leur envie entre les maisons où dorment les gens.
Parmi toutes ces épaisseurs de noirs superposées dans la chambre et sur les yeux comme des couvertures, ils se sont levés et habillés. Sans le réveil. Sans causer. A l’accoutumée. Il n’y a rien à en dire. Les gestes vont tout seuls là où ils doivent aller par la force de l’habitude. Pas besoin de frotter une allumette. Il n’y a qu’à ouvrir le portillon de la cuisinière pour redonner aux braises un peu d’air à lécher. Quand le rouge revient, on leur livre en pâture deux buchettes de hêtre sec qui feront bien assez pour ce qu’il y a à faire.
Ce qu’il y a à faire? C’est le train du matin, l’eau au broc, la mécanique apprivoisée du moulin à café, la cafetière qui siffle. C’est l’heure tranquille où les objets, confiants ou mal réveillés, se laissent faire entre les mains des hommes. C’est tout aussi bien d’en profiter, parce qu’ensuite, dans la journée, il arrive bien qu’ils se rebellent, tant tu veux faire d’un côté et tant ils veulent faire de l’autre. Mais jamais de si bon matin.
L’odeur du café chaud se répand comme un miel entre les espaces laissés en suspens par les choses, les affaires et les mouvements des deux hommes. Le temps de déjeuner, un coq a déjà accroché son cri aux premières lueurs comme on le ferait d’une veste aux deux ou trois clous rouillés plantés dans la porte et  les murs se le disent en écho.
Ensuite, c’est la tournure habituelle de tous ceux qui ont à faire, qui vont au marché comme d’autres au chantier du bois ou à la chasse: après le café, remplir son sac de ventre de deux oeufs, d’une tranche de lard, de pain chauffé sur la plaque; une goulée de vin rouge qui va à l’estomac aussi bien que le hêtre au feu; remplir son sac d’épaule de la gourde, de la cape. Le portefeuille à la poche, le papier à rouler, la blague à tabac. Le couteau. Les papiers. Lacer les souliers, attraper la casquette, prendre le baton, toutes les choses ont l’air de se
faire toutes seules, sans que l’on y pense. Et tant vaut-il que ça se passe comme ça, sinon on les ferait pas. Dans sa tête on dirait: ” Oh, et puis après merde”
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