Tous les articles par Gérard Bastide

L’EN-ALLEE DE JERUSALEM

(1° prix du concours de nouvelles de l’Encrier renversé-1998 )

A quel moment une idée se met à germer dans la tête des gens, comment elle s’y installe, on ne peut pas savoir. Pendant combien de temps sont-ils capables de porter en eux cette menue plante de l’idée qu’ils entretiennent régulièrement et à qui ils portent à boire comme à une petite personne? Si bien qu’au bout du compte l’idée a tellement grandi qu’elle dépasse parfois de beaucoup la taille de celui qui la portait. Alors elle devient indépendante et fraie son chemin toute seule parmi le monde et les autres idées.
Ainsi, nul n’aurait pu dire quand cette folie – il faut bien appeler les choses par leur nom – lui était venue en tête. Elle avait des imaginations faciles, elle était prompte à la rêverie comme souvent chez les jeunes personnes d’une complexion fragile et combien de fois la Mère Supérieure l’avait surprise à rêvasser au milieu de l’après- midi, les yeux fixés sur un objet imaginaire posé sur les tomettes de terre cuite, alors qu’il y a tant à faire ici, ne serait-ce que d’ aller arracher les herbes folles des bords des allées. Un peu herbe folle elle- même sans doute.
Cette nature rêveuse et prompte aux errances, cette âme qui semblait vaguer au premier vent, elle devait l’avoir héritée de sa famille, du moins le pensait-on, car sa venue au couvent avait été entourée d’un certain mystère. Et les anciennes, comme toujours, s’étaient complu à l’épaissir encore davantage par les fioritures de leurs récits. Leurs inventions naïves tachaient de combler les lacunes de l’histoire de la nouvelle venue. Mais par sa grâce innée, sa douceur, la carnation de sa jeune chair qui rosissait aussitôt que l’on s’adressait à elle, par sa gentillesse et son dévouement elle avait assez rapidement conquis, dès le temps de son noviciat, les coeurs de toute la communauté. Ses regards parfois perdus et son air vite troublé tranchaient aisément avec les moeurs rustiques et la piété chevillée au bon sens de ces robustes paysannes et ne faisaient qu’ajouter au charme de sa personne en lui conférant cette épaisseur supplémentaire de lumière que d’ autres appellent l’aura.

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A l’ouest de ma bicyclette

( Premier prix du concours de nouvelles de Brive-1999 )

Un jour, je partirai, ça c’est sûr. Quand j’ai décidé quelque chose qui compte fort pour ma vie, je le fais. Même si je suis bien jeune encore. Comme pour la fois de la balançoire. Ce jour-là, j’avais décidé que je sauterai. D’abord parce que les grands n’ont jamais osé sauter. Et ils m’avaient crié que j’étais un peureux. Et puis parce que j’en avais envie. Et les grands avaient tous parié contre moi. Alors j’ai fait le pari aussi parce c’était mon honneur à la vue de tout le monde. Et l’honneur, qu’on soit grand ou qu’on soit petit, il est de la même taille pour chacun de nous. Bon. Ils m’ont poussé de plus en plus fort sur la balançoire qui est faite avec deux arbres pliés et attachés ensemble, et les noeuds de liane sont très hauts, et la balançoire dépasse de plusieurs coudées la plus haute maison du village. C’est la plus haute balançoire des trois villages, de toute la vallée.
Quand j’étais trop haut et que je passais trop vite, ils ont arrêté de pousser et j’ai continué à me donner de l’élan avec les jambes en arrière. Avant, on avait tous décidé que de là-haut, je devais me lacher et avec l’élan, il fallait que j’arrive sur un tas de fagots qu’on avait mis très très loin, je me souviens plus, mais c’était vraiment plus loin que tout et je n’avais que huit ans et même les grands, aucun ne voulait faire ce que j’allais faire. C’était ça le pari.
Quand je me suis lâché, j’allais très vite et heureusement que j’étais léger, j’ai volé dans l’air très longtemps comme dans les rêves, il me semblait que ça ne s’arrêterait plus et j’ai fini par tomber sur les branchages. J’avais très mal au dos et les grands sont partis aussitôt parce que mon père est arrivé. Il m’a battu sur la figure et sur les jambes parce que j’avais mal au dos et les grands ne m’ont jamais rien donné pour le pari de mon saut. Mais j’étais très fier.

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Destins provisoires

(paru dans Brèves, n° 66 )

Un jour, il partira. Bientôt peut-être. Dès qu’il sentira la force assez montée en lui. Calendes ou récalendes, plein soleil ou lune vieille, il partira. Pour l’heure, il est encore trop tôt. Alors, les larmes aux yeux, Amiel avec son petit troupeau remonte à la glandée, derrière la colline où la lumière est si bonne et claire , vers le petit bois de chênes d’où au moins il ne verra plus sa maison. Ce n’est pas que celle-ci lui fasse horreur, mais Augier le désespère. On n’en a jamais qu’un, de père, et celui- ci est un furieux. Toujours de mauvaises paroles à la bouche, une face toujours de colère, toujours prêt à casser quelque chose ou à frapper quelqu’un de sa maisonnée – ou quelqu’un d’ailleurs, ce n’est pas pour le gêner, combien de fois il l’a déjà fait- , même quand tout est en bon train et que chacun est à sa tâche. Naguère il s’emportait pour tout. Maintenant c’est pour un rien qu’il fait l’impérieux et frappe avant même de commander. Pendant que les cochons fouillent leur pitance sous les chênes courts, Amiel prend un peu d’aise. Personne pour lui dire fais ci- fais ça, personne sur son dos du matin au soir pour le houspiller. Oublié le père à l’odeur de fauve, avec son oeil qui coule et ses jambes tortes qui crie comme un possédé, qui jure jusqu’à en perdre la voix et le souffle même, qui geint la nuit sur sa paillasse et s’énerve jusque dans ses rêves.
Pourtant on ne serait pas malheureux, il y a de quoi manger à Belbèze , les batiments sont bien bâtis par les anciens, on n’est pas souvent malades, il y aurait la bonne vie. Ici sont les racines. Mais voilà, le père est né affronteur et de mauvais vouloir. Alors, l‘Amiel Castela, dès qu’il a un moment, sans le dire à personne, il court retrouver l’homme aux douces paroles, celui qui se dit lui-même évêque des écureuils, il le dit comme ça. En passant par les travers, Amiel ira plus vite. Il coupe maintenant à travers la bruyère mauve dont les courtes tiges grattent comme des poils et les flèches courbes des ronces qui raclent ses jambes nues lui rappellent décidément la hargne paternelle.

(paru dans Brèves n° 66) – oct 2002

 

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Avidona

( prix spécial du jury pour le 10° anniversaire de la revue Harfang )

« J’appartiens à une drôle de famille.. Nous dormons le jour et nous volons la nuit, comme les chauves-souris. »
Ray Bradbury, la sorcière du mois d’avril.

– Mais, bon dieu, Aubry, ce que vous me racontez est insensé! Des histoires de bonne femme, c’est le cas de le dire! ON SE CROIRAIT REVENU AU MOYEN-AGE !
Cest oyseau estant monstrueux avisé serait ceslui qui pourrait acertifier que ceste creature est plutot de femme ou bien d’oyselle & confessera aysement que l’air jamais n’a soustenu rien de plus esmerveillable…..
– Tout de même, Aubry, vous êtes un garçon éclairé, un homme de culture! Vous voilà cédant à la superstition la plus obscure!
…Et aynsi que j’eu en ce temps cest heur & privilège de vouër sa despouille, je la descriray fidelement ainsi que les autheurs latins…
– Honnêtement, je ne m’attendais pas à être cru sur parole. Mais j’ai suffisamment d’éléments pour mériter votre attention. On a là de quoi faire un numéro spécial!
Elle estoit garnye d’aelles longues et blanches, aynsi qu’aux oyseaux es proies. Seules sont les femelles & n’ont nul retraict ou elles entretienent ses oeufs.
– Ecoutez, mon garçon, depuis que vous travaillez au journal, je n’ai qu’à me louer de vos services. Mais je suis enclin à penser que le surmenage, le stress, bref, vous auriez intérêt à souffler. Pourquoi ne pas poser quelques jours de vacances? Faites un break. C’est pas un ordre du patron, c’est un conseil d’ami.…

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la pierre sèche

 » Avec leurs mains desus leurs têtes, ils en ont bâti des murettes jusqu’au sommet de la colline… »  Jean Ferrat

« Il ajuste une à une des pierres sans mortier, il en construit des alignements de plusieurs kilomètres (…) c’est une architecture sans merci, il y faut du goût, du sens de l’équilibre, de la soumission au paysage, moins de force physique que de feu, de la patience… » Jean Giono

Construire en pierre sèche, une activité qui échappe au narcissisme : parce qu’en bâtissant tu finis par te ruiner le dos et les reins.  Tu t’écrases les doigts même avec les gants. Et il t’arrive même de t’écraser un orteil ou de prendre une barre à mine dans le portrait. Ne riez pas, ça m’est arrivé. Et quand tu as fini, ou ton mur est mal monté et il se casse la gueule. Ou il est bien monté et personne ne veut croire que c’est toi qui l’a fait. Genre :  » Ah, autrefois, à l’époque, les vieux , ils savaient travailler. « avant après

dallages

La pierre au sol : récupérer patiemment lauzes, dalles, pierres plates, pavés,   anciens trottoirs (!),   placer au sol sur un lit de graviers, ajuster  au mieux les angles des pierres quadrangulaires, assembler au mieux les autres en opus quadratum ou opus incertum. Laisser reposer. Le sol inusable supporte le poids des véhicules, se patine avec le temps, évite l’érosion de la pluie, a l’avantage de sécher vite, garde longtemps la chaleur du soleil et constitue un repoussoir efficace contre les taupes. Ne pas oublier de desherber régulièrement et d’enlever les feuilles mortes. C’est tout et c’est beau. On dirait que ça a toujours été là. Le meilleur compliment: « Ah, autrefois, les anciens, ils travaillaient bien !  »

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soutenir, renforcer

Les murailles bâties en pierre étaient prévues pour durer. Néanmoins, elles doivent résister à des agressions multiples : les saisons avec les écarts de température, les cycles gel-dégel ( aquo es una  nueit a far petar la muralha …), les pluies d’automne et de printemps dont les eaux s’infiltrent, les arbres  qui poussent leurs racines profondément si l’on n’y veille pas, sans compter des ennemis plus discrets comme les taupes ou les campagnols. Sans oublier la loi de la gravitation universelle : per davalar tots los sants t’ajudan.  C’est pourquoi il vaut toujours mieux prévenir que guérir et j’ai édifié au cours des années plusieurs ouvrages en pierre maçonnée, contreforts, renforts, piliers de soutènement, qui renforcent ou complètent les ouvrages existants et les bassins et empêchent les murs de quitter la verticale.

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réouverture du Musée du Textile

(discours prononcé par GB le 10 juillet 2008 )

REOUVERTURE DU MUSEE DU TEXTILE

Comme disait naguère le poète Patrice de la Tour du Pin,
“ Les peuples qui n’ont pas d’histoire sont condamnés à mourir de froid. ”
…Les peuples qui n’ont pas d’histoire…
Et les villages qui n’ont pas d’histoire ? Qui n’ont plus d’histoire ? A quoi sont ils condamnés, les villages qui n’ont plus d’histoire ?
Ils sont condamnés à la monotonie, à la banalisation, à l’insignifiance, à l’amnésie collective, condamnés à devenir des lieux sans âme, que l’on traverse sans souhaiter s’arrêter, tous semblables, tous pareils.
Fort heureusement, ce n’est pas le cas de notre cité de Labastide-Rouairoux. Cette vallée est riche d’une si longue tradition textile : on a retrouvé des fusaïoles datant du Néolithique ! Par la suite, tout le long temps de notre histoire est ponctué par l’activité textile : on cite des tisserands cathares au XII° siècle, on évoque les métiers à tisser qui rythmaient la vie de chaque maison au temps de la Réforme et des guerres de religion, les commandes de draps et de tissus militaires pour la Grande Armée de Napoléon, les premières fabriques mûes par l’énergie hydraulique, la réputation de qualité des tissus et apprêts de Labastide-Rouairoux, les tissus pied-de-poule qui allaient jusqu’en Angleterre pour habiller la famille royale, la recherche constante de nouveauté, saison après saison, pour les collections de haute couture,…
En feuilletant ainsi l’album des souvenirs, ce sont aussi des pans entiers de mémoire ouvrière qui défilent : les conditions de travail, les rues encombrées au moment de la sortie des usines, les grèves, les manifestations, mais aussi les jours de fêtes, les anecdotes et les savoir-faire partagés autour d’un métier devenu bien plus qu’un métier, un tradition collective, une façon de vivre.
C’est ce fil têtu de la mémoire qui risquait à tout jamais de se rompre quand le textile local fut à son tour victime des premières manifestations de la mondialisation, quand il a semblé plus facile et surtout plus rentable de faire fabriquer dans les ateliers du tiers-monde les tissus qui auparavant avaient assuré la prospérité de la vallée. L’histoire n’étant jamais à sens unique, il n’est pas dit que le renchérissement des produits pétroliers n’aboutisse au résultat inverse, la relocalisation de secteurs entiers de notre économie, peut-être bien le textile lui-même, on ne peut que le souhaiter.
Nous étions à la fin des années 70, les métiers cessaient de fonctionner les uns après les autres, les usines fermaient, les ouvriers chomaient ou partaient en pré-retraite, et chaque semaine des camions chargeaient des machines entières qui partaient pour la casse.
Il a fallu la détermination et l’enthousiasme de quelques-uns pour que naisse- en 1983- la conscience de la nécessité de sauvegarder ce patrimoine.
Histoire qui a débuté par la création d’un écomusée- dont je fus le président-fondateur- sur ce territoire de la Montagne Noire avec des collections agraires, textiles, hydrauliques, industrielles, la meunerie, les moulins, une imprimerie et même une distillerie !
1983 – 2008 : un quart de siècle, 25 ans d’une histoire longue et complexe car rien n’a été simple, commencée d’abord dans les batiments de l’usine Bourguet, puis qui s’est poursuivie par l’acquisition de l’usine Armengaud – qui date de 1880 – son site actuel. Devenu depuis janvier 2001 le Musée départemental du Textile, géré et animé par le Conseil Général du Tarn et tourné vers le patrimoine.
Patrimoine matériel d’abord, machines, cardes, métiers, objets, photos, livres d’échantillons récupérés par cartons entiers dans les usines, mais aussi patrimoine immatériel, savoir-faire, techniques, tours de main, témoignages ouvriers incarnés aujourd’hui de belle manière par les anciens du Comité Textile.
Qui dit musée dit mission conservatoire. Mais pas conservatrice : Aujourd’hui , le Musée du Textile de Labastide-Rouairoux est résolument tourné vers le futur : tendances “fashion” pour chaque saison, logiciel de création textile, nouvelles collections, nouveaux projets, accueil de scolaires, artistes en résidence… et nouveau parcours muséographique, où tous les sens se trouvent sollicités, le regard avec les matières, les couleurs, les formes, l’ouïe avec les nombreuses machines, l’odorat avec ses odeurs mêlées de graisse et de suint, le toucher des matières végétales et animales…
Aussi, le Musée du Textile, pour nous Bastidiens, joue le double rôle de vitrine et de miroir. Miroir car ce musée nous tend l’image à peine voilée de notre identité. Vitrine car il offre au regard extérieur, au curieux, au créatif, au touriste, le témoignage du savoir faire textile de notre vallée. Aussi je souhaite au nom de la commune de Labastide-Rouairoux que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui une bonne fréquentation dans ses locaux rénovés et longue vie au Musée du Textile !

des cabanes en pierre sèche

Capitelle, jasse, cabane, mazet, carabela, borie, tant de noms locaux pour la même tradition ancestrale de constructions
en pierre sèche : le matériau trouvé sur place, un soin particulier à bâtir la pierre, une voûte autoportante où chaque pierre est posée délicatement en porte-à-faux sur celle de dessous sous peine de voir la toiture s’effrondrer sur l’homme et son chien, le tout formant un abri bienvenu pour le randonneur en butte aux éléments ou juste une pause contemplative. Nous en avons édifié plusieurs, celle de schiste a été bâtie (2002) au sommet de Quiersboutou (837m ) qui domine les hameaux de Castans (Aude ), l’autre forme une sorte d’ermitage semi-enterré pour attendre la fin des temps… ou de l’averse.

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