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la superstition

Mon billet d’humeur à propos du récent « Mille feuilles » qui s’est tenu à la médiathèque d »‘Aussillon le 13 avril :

SUPERSTITION… vient du latin superstitio, qui l’eût cru ? Lui-même dérivé de superstare : La superstition, superstar ! Il est vrai que la superstition est pas mal en vedette ces temps-ci. Superstare signifie ce qui se tient au dessus, ce qui surnage, ce qui subsiste… après quoi ? après toutes les inquisitions, la destruction des idoles, les bûchers, les autodafés , les procès en sorcellerie, après toutes les tentatives d’éradication de la part de la religion dominante pardi. Si l’on cherche une définition de la superstition, on trouve  « croyance irrationnelle ». Ah bon ? Il y aurait-il donc des croyances rationnelles ? Une croyance par définition est quelque chose de personnel, de subjectif, parfois associé à un groupe culturel, en tout cas pas du tout scientifique. La croyance s’oppose à la raison. Croyance irrationnelle est un pléonasme. Une croyance rationnelle est un oxymore. Superstition est un terme nettement péjoratif. Il traîne avec lui un délit de sale gueule. Superstition renvoie immanquablement à l’obscurantisme, si possible moyenâgeux. Comme si le Moyen-âge n’avait pas vu fleurir en Europe toutes ces cathédrales, en même temps que les troubadours, l’amour courtois, les deux François, Villon et Rabelais ! Superstition fait écho à obscurantisme, ou mieux encore paganisme. Avec l’anathème « superstition » on renvoie dans les cordes tous les tenants des anciens cultes, des premiers rites, de tous les polythéismes. Pourtant les mythes grecs, ça vous a une autre gueule que le concile de Latran. Et le Kama Sutra a plus d’attraits que la vie édifiante de la petite Bernadette Soubirous.

Moi je dis vivent les superstitions. On a tous besoin de rites personnels, ça aide à se structurer. Tenez, moi tous les matins, je commence invariablement par des tartines beurrées. Et je ne me chausse jamais sans au préalable avoir enfilé mes chaussettes. Je ne vais jamais sous la douche sans m’être déshabillé auparavant. C’est comme ça. Et puis la superstition n’a jamais fait de tort à personne. Essayez donc d’écraser un chat noir sur votre route tout en croisant les doigts d’une main et en touchant du bois de l’autre. Si vous y parvenez, vous me tiendrez au courant. Au fait, le vendredi treize, treize à table, vous croyez peut-être que c’est à cause de la dernière scène de l’acte IV, de la Cène. Pas du tout. C’est parce que c’est vachement difficile de couper un gâteau en 13. Et si vous persistez à coincer sur le chiffre treize, c’est parce que vous êtes tout simplement atteint de triskaïdékaphobie, la phobie du chiffre 13. Retenez bien ce mot et vous allez cartonner au Scrabble. J’arrête ma petite chronique car on risque de m’accuser de mauvais esprit. Mauvais esprit, ce serait un comble pour des gens qui ne croient pas à la superstition…   Si vous ne partagez pas ce texte avec dix personnes avant minuit, vos dents tomberont, vous perdrez au loto, vous serez renversé par un parapluie et écrasé par une échelle.



un cadavre dans les dunes ?

Pas de panique, c’était le sujet du concours de nouvelles 2017 organisé par les éditions Arthémuse au Touquet.
300 nouvelles, 16 sélectionnées…et un prix unique de 1000 € à la lauréate. Ca valait le coup de se bouger la plume ! ou plutôt le clavier. Bon, j’ai pas gagné mais ma nouvelle “ un coeur brûlant» figure dans le recueil. Comme je suis bien brave, vous la trouverez in extenso ci-dessous…

arthemuse

UN COEUR BRULANT

Elle est arrivée de nuit avec la fourgonnette.
Elle a arrêté son véhicule au bout de la piste, juste à la limite du sable.
A ouvert la porte arrière, a sorti la forme enveloppée d’un drap blanc. Lentement, la fille aux cheveux courts a gravi la dune avec son chargement sur le dos. Elle a posé le corps, s’est agenouillé auprès de lui.

Mon tout à moi
ma douceur
mon âme mon battant
oh mon homme ma tendresse mon vivant

les mots d’amour
elle les psalmodiait comme une incantation
les mots qu’elle lui offrait comme quand il était vivant
la nuit était comme morte aussi seul le souffle du vent et encore.
Juste le sable.
Toute la nuit à mots si tendres elle lui a murmuré
toute la nuit à l’oreille

Greg
mon aimé, ma ferveur ma toute lumière
rien que pour toi mon tout doux mon solaire mon petit

Et c’étaient presque les mêmes mots que lorsqu’ils étaient tous deux vivants.
Mais le corps chéri ne répondrait jamais plus. On ne répond pas quand le corps pèse trente-cinq kilos, les bras percés de centaines d’injections et que de toute façon toute chaleur l’a quitté, déjà les yeux dépouillés de toute lueur et le visage si pâle sur le noir de la nuit.
Les mots ne font pas revenir.
Elle berçait la dépouille froide tout en hochant la tête à petits coups comme une bête qui sent le vent et sans larmes sans frissons une immense colère froide est montée peu à peu en elle. Une colère de femme comme une grande marée d’équinoxe, une rage qui enfle et que rien ne peut arrêter. Et tout en continuant à murmurer sa prière, derrière la dune elle a creusé à la main un trou dans le sable fin jusqu’à atteindre le mouillé. C’était pas difficile. C’est pas ça le plus difficile.
Elle a déposé doucement oh si doucement le corps de l’homme comme s’il s’agissait de la sieste d’un enfant malade. Comme une offrande froide à la dune. Les sourcils froncés elle a fait plusieurs aller-retour entre la lisière de la forêt et la fosse avec des brassées de branches de pin.
Mortes les branches elles aussi.
Les yeux clos comme pour un très ancien rite elle a craqué le briquet et mis le feu aux photos, au carnet.

Le feu de son bûcher mortuaire a crépité puis s’est vite consumé sans fumée. De toute façon il n’y a personne sur la plage en janvier. Rappelle-toi, amour, même en été il n’y avait jamais personne sur cette plage.
Elle a recouvert le corps de sable, a pelleté de ses mains nues le sable jusqu’à recouvrir la dépouille et les brandons de bois noir. Dans les dunes face à la plage toujours déserte où ils avaient fait l’amour la première fois. Le jour s’est levé à peine, jour de cendre et de désespoir de femme.
Grise la mer gris le ciel gris le coeur vidé

le mort la mer la mort

A genoux devant lui tant que mon coeur continuera de brûler elle a dit je te vengerai. Sans se retourner elle a marché jusqu’au van, a tourné le contact. Le véhicule est sorti de l’ornière, a repris docilement des routes familières, a regagné le monde des hommes.

CENTRE ANTI-CANCEREUX
C’est là qu’on envoie toujours les intérimaires. “Viande à rems”, ricanait Greg et il racontait des histoires de cercueils plombés. Lui et tant d’autres, les doses dépassées, les dosimètres qu’on laissait à l’entrée pour éviter qu’ils ne sonnent. Si tu dépasses la dose, on te renvoie à la maison.Alors…alors, faut bien croûter mon gars, on en est tous là.

Finalement ç’avait été si simple déguisée en infirmière.
Avec sa bonne bouille ses cheveux au carré ses yeux de miel bleu. Suffisait d’une blouse blanche. Elle avait signé une vague décharge, on l’avait laissée prendre livraison du corps. Il pesait si peu. Elle l’avait chargé presto dans le van et ils avaient repris la direction de la mer comme avant comme avant voilà tout

“Leucémie aigüe, aucun rapport avec son métier”
avait décrété l’Agence de Sécurité. C’est à vous madame d’apporter la preuve que sa maladie puisse avoir un quelconque rapport avec son activité. Je suis navré bien entendu mais croyez-moi, nous prenons toutes les précautions imaginables pour notre personnel. Y compris les intérimaires. Croyez bien que ça nous coûte bien assez cher mais la sécurité n’a pas de prix n’est-ce pas ?

bien sûr bien sûr boulot de merde c’est ainsi voilà tout, ça devait arriver, souffla Greg, promets-moi de m’aimer même quand tu n’auras plus rien à aimer quand je ne serai plus là tu m’aimeras encore mais promets-moi de pas le faire Sonia
elle l’avait embrassé sur les deux yeux elle n’avait rien promis

Sonia, prends soin de notre histoire disait-il encore ou bien
il faut que tu vives des choses comme ça
les choses qu’on dit quand on est un peu à court
que les gestes ne suivent plus que la vie vous pousse dehors
et c’est la mort qui entre

Finalement ç’avait été aussi simple qu’à l’hosto. A la centrale on manque toujours d’intérimaires. Tous ces malades, ça finit par se savoir. Alors on n’est pas regardant. Formation en huit jours et direct aux opérations de maintenance. Elle a touché sa tenue officielle. Elle a aussi gardé le badge de Greg.

C’est toi la nouvelle? a dit le chef d’équipe en matant la bonne bouille sous les cheveux au carré. Ton job, ce sera la cuve n°3 sous le réacteur. T’es menue, ça tombe bien. Faudra passer par un trou d’homme. Ce sera la première fois qu’une femme passe par un trou d’homme !
Il avait rigolé grassement et les autres s’étaient fendu d’un sourire sous le casque.

Le miel bleu s’était déversé sur lui comme du métal en fusion

Et trois minutes maxi, tu connais la consigne !

Pas grave, Sonia aura largement le temps de placer la charge explosive. Et pas l’intention de ressortir. Le monde est déjà mort.

19H17
Là bas, un étonnant panache monte sur des kilomètres de ciel comme pour lui signifier des choses indicibles
19H40
Des centaines de phares bleus sur des voitures blanches s’agitent à la surface des choses comme des fourmis dérangées
19H57
“Une banale opération de maintenance vire au cauchemar “ brament les télés.

C’est la première fois qu’une centrale s’embrase par amour

Le coeur brûlant continuera de battre pendant des centaines d’années

recette anti-crabe

Je lisais le « journal de bord » de Jeanne Gleyzes, le récit bien ficelé de son combat victorieux contre la maladie quand, au détour d’une page, j’ai eu la surprise  de m’y retrouver cité, in extenso s’il vous plait, sous la forme d’un petit courriel d’encouragement que je lui avais envoyé. Comme il était tombé en quelque sorte dans le domaine public après son  édition, il m’a semblé que je pouvais à mon tour lui ôter tout caractère intime  et éventuellement,  faire profiter d’autres lecteurs/lectrices  de ma recette :  » à l’entrée de cet hiver qui arrive sur la pointe des châtaignes, nous te proposons un cocktail dont voici la composition, doses établies  a vista de nas : 60% d’énergie positive, 15% de patience, 20% de bonne humeur, rigolades et fous-rires, 25% d’émerveillements quotidiens,  (paysages, visites, expos, jardin…), 3% de courage, 10% de philosophies diveres ( zen, tao, Epictète, chamanisme…),12% de lectures choisies, 43% d’amour (dosage finement établi après de nombreuses discussions ) Comment ça, ça dépasse 100%100 ? Je me doutais bien qu’on avait un peu forcé sur les doses. Dans ce cas, tu remixes tout ça en précisant que c’est à étaler sur la semaine. Et c’est le moment pour toi de faire le point et d’en profiter pour faire le tri entre l’essentiel et l’accessoire, un peu comme au printemps quand on fait une descente dans son armoire à fringues et qu’on se décide à faire le tri… »

Harfang N°50, mai 2017

Harfang, honorable revue de littératures, basée à Angers et dédiée au texte court, fête ses 25 ans d’existence !
C’est pas rien quand on sait la difficulté à survivre dans le marigot de l’édition avec l’ambition de proposer autre chose que des bestesélères. Pour son cinquantième numéro, Harfang a eu la bonne idée d’exhumer l’un de mes textes de 2004 ( ce qui est une preuve supplémentaire de leur bon goût ). Pour s’abonner à la revue, c’est par icirevueharfang@laposte.netharfang Continuer la lecture de Harfang N°50, mai 2017

GB prend le large à Binic

Le thème 2016 du concours de nouvelles ? « fortunes de mer ». Pour le dire autrement, naufrages et autres infortunes salées. C’était à Binic (Côtes d’Armor).  Même si je suis un terrien pur beurre. La preuve, pour moi la haute mer commence dès que j’ai de l’eau aux genoux. Moi j’ai toujours adoré les récits de mer. Et le vocabulaire maritime. Et les embruns. Alors j’ai envoyé le texte d’une petite pomme qui voulait voir la mer au péril de sa vie…Ouest-France-2-avril-2017Evidemment, tu veux en savoir un peu plus ? Sans avoir à acheter le recueil ? Allez, juste pour toi et en promo, voici le texte dont avec lequel que j’ai gagné…

NAUFRAGE A TERRE

Là-bas, c’est le bas-bout de l’extrême-terre. L’horizon de varech s’aplatit complètement comme une grande bête liquide et laisse à leurs fluides agapes la terre, l’air et l’eau. Ces épousailles deux fois par jour du roc et de l’écume, du sable gris et de l’eau marine, ça se nomme la grande baie. La mer s’enfuit à la frange visible du monde et l’oeil n’arrive plus à choisir entre ces bandes de bleus, à décider parmi toutes ces horizons de mer un peu tremblés et tous ces grains mouillés sur les buvards de l’eau. Continuer la lecture de GB prend le large à Binic