( Premier prix du concours de nouvelles de Brive-1999 )
Un jour, je partirai, ça c’est sûr. Quand j’ai décidé quelque chose qui compte fort pour ma vie, je le fais. Même si je suis bien jeune encore. Comme pour la fois de la balançoire. Ce jour-là, j’avais décidé que je sauterai. D’abord parce que les grands n’ont jamais osé sauter. Et ils m’avaient crié que j’étais un peureux. Et puis parce que j’en avais envie. Et les grands avaient tous parié contre moi. Alors j’ai fait le pari aussi parce c’était mon honneur à la vue de tout le monde. Et l’honneur, qu’on soit grand ou qu’on soit petit, il est de la même taille pour chacun de nous. Bon. Ils m’ont poussé de plus en plus fort sur la balançoire qui est faite avec deux arbres pliés et attachés ensemble, et les noeuds de liane sont très hauts, et la balançoire dépasse de plusieurs coudées la plus haute maison du village. C’est la plus haute balançoire des trois villages, de toute la vallée.
Quand j’étais trop haut et que je passais trop vite, ils ont arrêté de pousser et j’ai continué à me donner de l’élan avec les jambes en arrière. Avant, on avait tous décidé que de là-haut, je devais me lacher et avec l’élan, il fallait que j’arrive sur un tas de fagots qu’on avait mis très très loin, je me souviens plus, mais c’était vraiment plus loin que tout et je n’avais que huit ans et même les grands, aucun ne voulait faire ce que j’allais faire. C’était ça le pari.
Quand je me suis lâché, j’allais très vite et heureusement que j’étais léger, j’ai volé dans l’air très longtemps comme dans les rêves, il me semblait que ça ne s’arrêterait plus et j’ai fini par tomber sur les branchages. J’avais très mal au dos et les grands sont partis aussitôt parce que mon père est arrivé. Il m’a battu sur la figure et sur les jambes parce que j’avais mal au dos et les grands ne m’ont jamais rien donné pour le pari de mon saut. Mais j’étais très fier.